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Par Jorge Brites.

Allocution télévisée de M. Gorbatchev, le soir du 25 décembre 1991.

Ce 25 décembre n’est pas que la célébration de la fête de Noël. Ce jour marque aussi la date anniversaire de la démission du président soviétique Mikhaïl Gorbatchev, qui transférait ainsi ses pouvoirs, y compris le contrôle des codes de lancement de missiles nucléaires, au président de la Fédération de Russie, Boris Eltsine. Ce soir-là, 25 décembre 1991 à 19h32, le drapeau soviétique était abaissé pour la dernière fois du Kremlin, remplacé par le drapeau russe prérévolutionnaire. Auparavant, depuis le mois d’août, les quinze républiques soviétiques, Russie comprise, avaient fait sécession de l’union ou dénoncé la création de l’URSS.

Cette séquence mit fin à près de 74 ans d’expérience révolutionnaire en Russie – et dans plusieurs pays voisins, notamment du Caucase, de l’Asie centrale et de l’Europe orientale – ainsi qu’à la Guerre froide, situation héritée directement de la Seconde Guerre mondiale. D’aucuns, y compris parmi les nostalgiques de la période soviétique et du statut de superpuissance de l’URSS, ont pointé du doigt la responsabilité de Mikhaïl Gorbatchev, son dernier dirigeant de 1985 à 1991, dans la dislocation de l’Union soviétique. Prix Nobel de la paix en 1990 pour sa contribution à la fin de la guerre froide, le personnage est apprécié en Occident, alors qu’il demeure l’un des dirigeants les plus mal-aimés des Russes – comme l’indique son score à l’élection présidentielle de 1996 (386 069 voix, soit 0,5% des suffrages) et le faible ancrage des mouvements politiques auxquels il a contribué depuis. Trente après sa démission, nous avons donc choisi de nous arrêter sur le contexte et les éléments qui ont poussé ce dirigeant controversé, et avec lui la direction soviétique, à prendre les choix qui ont débouché sur l’issue que l’on connaît.

Il convient tout d’abord de rappeler quelques éléments de contexte à l’arrivée de Gorbatchev. À la fin des années 1970, le service soviétique de renseignements, le KGB, dirigé par Iouri Andropov, diligenta une enquête confidentielle pour évaluer le PNB soviétique selon les modes de calcul occidentaux, et non plus seulement en volume comme le voulait la pratique socialiste. Le résultat, très défavorable, apportait la démonstration du déclin de l’Union soviétique, qui voyait son économie dépassée par celles du Japon et de l’Allemagne de l’Ouest, les anciens vaincus de la Seconde Guerre mondiale. Parallèlement, à partir de 1978, la Chine dirigée par Deng Xiaoping entreprit une véritable révolution économique qui rétablissait des pans du capitalisme et insufflait ainsi un dynamisme considérable à l’économie chinoise. L’URSS était ainsi confrontée à une situation géopolitique nouvelle : le Japon et la République fédérale allemande (RFA) disposaient désormais chacun d’une économie plus robuste et productive que la sienne, la Chine commençait à connaître une croissance économique exponentielle, et les États-Unis, toujours aussi hostiles, accroissaient quant à eux l’écart.

Tous ces éléments remettaient évidemment en cause le statut de « superpuissance » acquis par l’URSS depuis 1945. Et le danger était d’autant plus grand que le Japon, la RFA et la Chine se situaient à la frontière de la sphère soviétique, et entretenaient chacun un contentieux territorial sérieux avec Moscou. En outre, la légitimité de l’URSS à intervenir hors de ses frontières et la sincérité de son discours anti-impérialiste étaient franchement mis à mal par l’invasion de l’Afghanistan à partir de 1979 – ce à quoi il faut ajouter le coût exorbitant de la course aux armements et de la rivalité avec le bloc occidental, puisque 15 à 20% du budget soviétique étaient consacrés aux seules dépenses militaires. C’est consciente de la fragilité de la situation que la direction vieillissante du Parti communiste de l’Union soviétique porte au pouvoir, en 1985, le représentant d’une nouvelle génération politique, Mikhaïl Gorbatchev, qui est un pur produit du régime, et le premier dirigeant à ne pas avoir connu la Révolution de 1917.

Drapeau de l'Union soviétique.

L’échec des réformes intérieures et la tentative de maintenir l’« Union »

Le constat de la nouvelle équipe dirigeante obligea à des décisions rapides. Les estimations montraient que directement ou indirectement, c'étaient 70% de l’économie du pays qui fonctionnaient autour du secteur militaro-industriel ou au service de l’Armée rouge. Il s’agissait donc tout d’abord de solder la question afghane, un bourbier militaire qui engloutissait des sommes considérables et plombait l’image du régime. Peu après l’accord sur le retrait soviétique d’avril 1988, des chiffres officiels annonçaient que 13 310 soldats soviétiques avaient été tués et 35 478 blessés. Le retrait s’acheva en février 1989.

Dans son discours de démission, le 25 décembre 1991, Mikhaïl Gorbatchev s’exprimait en ces mots : « Quand j’ai accédé aux plus hautes fonctions de l’État, il était clair que le pays allait mal. Tout ici est en abondance : la terre, le pétrole, le gaz, le charbon, les métaux précieux, […] et pourtant nous vivons bien plus mal que dans les pays développés, nous prenons toujours plus de retard par rapport à eux. La raison en était déjà claire : la société étouffait dans le carcan du système administratif de commande. Condamné à servir l’idéologie et à porter le terrible fardeau de la militarisation à outrance, elle avait atteint la limite du supportable. Toutes les tentatives de réformes partielles – et nous en avons eu beaucoup – ont échoué l’une après l’autre. […] Il fallait tout changer radicalement ». Et de fait, le nouveau leader soviétique ne perdit pas de temps : dès le mois d’avril 1985, un paquet de réformes économiques et sociales s’amorcèrent, sous le nom de « Perestroïka », autour de trois axes prioritaires : l’accélération, la démocratisation et la transparence. En parallèle, il lança la glasnost, politique de transparence et d’instauration d’expression et d’association, notamment à partir de l’accident nucléaire de Tchernobyl en 1986.

Pour autant, il est généralement admis que durant toute l’année 1986 et le début de l’année 1987, les tentatives de réforme revêtirent un caractère désordonné, qui reflétait les espoirs de Gorbatchev de faire fonctionner efficacement les mécanismes économiques, mais sans les révolutionner. Fidèle à sa devise d’un « retour à Lénine », il souhaitait remettre au goût du jour le projet économique du Père de la révolution : sauver le socialisme à l’aide de la Nouvelle Politique Économique, la NEP, en encourageant le travail coopératif. Il déclara en mars 1986, lors d’une réunion du Politburo : « Lénine n’avait pas peur de stimuler les petits entrepreneurs, même lorsque l’État est faible. Et nous, qu’avons-nous à redouter ? Si les entrepreneurs en prennent trop à leur aise, nous aurons toujours assez de sagesse léniniste pour en venir à bout ».

L’idée de Gorbatchev semble avoir été de transformer l’économie stagnante et inefficace de l’URSS en une économie décentralisée de marché, toujours sous l’égide du Parti communiste. Une démarche qui, combinée à la glasnost dans les médias, n’avait toutefois aucunement en vue de remettre en question les dogmes communistes. Il s’agissait bel et bien de consolider le régime socialiste, affaibli par l’immobilisme de la gérontocratie des dernières années – avec les dirigeants successifs Brejnev (1964-1982), Andropov (1982-1984) et Tchernenko (1984-1985) –, et de s’appuyer pour cela sur une relance de l’activité économique et une hausse de la productivité. Pour Gorbatchev, cette politique devait permettre de donner un second souffle au socialisme soviétique en l’adaptant aux évolutions de la société.

La décision de Gorbatchev de libérer la société de son état, s’explique avant tout par sa conviction sincère que si des mesures urgentes n’étaient pas prises pour moderniser le système politique, l’économie du pays et le régime lui-même étaient menacés d’effondrement total. En 1989, en visite officielle en Chine pendant les manifestations sur la place Tienanmen, on sollicite son opinion à propos des manifestants démocrates qui troublent son séjour, et il déclare : « L’URSS a également ses têtes brûlées qui veulent changer le socialisme du jour au lendemain ». Il a cru que ce changement pourrait se faire par le haut, malgré les résistances du système, et bien que ni lui ni ses partisans n’aient de plan concret de réformes politiques, avec un calendrier précis. Le 11 septembre 1990, il fait bien adopter un programme de réformes économiques par le Parlement de Russie, aussi appelé le « Plan des 500 jours », mais qui semble une fiction à ce stade de décomposition du système soviétique.

Gorbatchev a lui-même reconnu plus tard certaines de ses erreurs, notamment d’avoir tardé à faire adopter actes de principes : la scission du Parti communiste de l’Union soviétique (qui n’arriva que le 13 mars 1990, par un vote du Congrès des députés du peuple qui abrogeait le rôle dirigeant du PCUS), afin de libérer sa fraction réformiste de la tutelle bureaucratique ; et le lancement d’une réforme radicale pour bâtir le « socle » économique de projet pour l’Union. Sans compter que la fracture entre la démocratisation politique et la réforme économique retarda l’adoption des mesures allant dans le sens de l’économie de marché, et surtout que, dans ce domaine, le pouvoir fit exactement le contraire. Pendant les deux ou trois premières années, Gorbatchev et son équipe travaillèrent à faire redémarrer un vieux système sectaire et fondé sur l’obéissance, en espérant qu’il fonctionnerait comme le prévoyait la doctrine. L’idée étant qu’il suffirait dans un premier temps de renforcer l’ordre et la discipline par des mesures administratives, en imposant une responsabilité plus stricte aux dirigeants locaux.

Le mélange de toutes les réformes donna le programme d’« accélération » de développement économique du pays, qui tenait plus du slogan de propagande que d’une conception structurée de réformes, car ne s’appuyait sur aucun plan concret d’action. Jusqu’à 1987, il semble que l’action économique ne fut qu’une succession de décisions dispersées qui s’accordaient mal entre elles et qui se trouvaient souvent en opposition avec un processus politique de plus en plus actif. Ainsi, en l’espace d’une semaine, le secrétariat du Comité central du parti, sous la présidence de Ligatchev, adopta deux décisions potentiellement contradictoires : un décret sur « l’encouragement de l’entreprise individuelle », et un autre sur « la lutte contre les revenus ne provenant pas du travail » qui fixait les dimensions maximales des habitations et des lopins individuels, dans les plus pures traditions kroutchéviennes, et même staliniennes.

Enfin, il est clair que Gorbatchev sous-estima la farouche résistance aux réformes de la vieille nomenklatura, ainsi que l’appétit de pouvoir des forces nouvelles éveillées par la Perestroïka. Il semble qu’il ait compter sur l’instauration d’un régime de libertés, plus démocratique, pour asseoir et consolider le processus de réforme – ce que viendrait attester l’organisation, le 17 mars 1990, d’un référendum de validation du projet de rénovation de l’Union soviétique, auxquels les électeurs répondent « Oui » à 76% des votants (les pays baltes, la Géorgie, l’Arménie et la Moldavie ayant refusé d’y participer). Cette erreur d’appréciation, qui a donné davantage de champ libre à l’opposition menée par Boris Eltsine, s’ajoute à l’échec du régime à instaurer un véritable État de droit : le Parti communiste constituait une organisation corrompue, notamment dans les républiques d’Asie centrale, et accaparait les richesses produites au profit de ses membres. Résultat : quand le système s’effondre, l’économie est frappée de graves pénuries.

Logo du syndicat polonais Solidarność.

Révolutions de velours et émancipation des pays satellites : le système s’effrite inévitablement au-delà des frontières

En Europe centrale et orientale, on observe des évolutions dès le début des années 1980. En 1980 naît en Pologne le syndicat indépendant Solidarność (« solidarité »), dirigé par Lech Walesa, d’abord interdit, puis reconnu à contre-cœur par les autorités, et regroupera vite plusieurs millions d’ouvriers soutenus par des intellectuels réformateurs. Malgré la loi martiale déclarée en décembre 1981, l’arrestation des meneurs du syndicat pendant quelques mois et l’instauration de l’état de siège, le pouvoir communiste ne parvient pas à étouffer la fronde syndicale et les revendications populaire. Les grèves et manifestations ne feront que s’amplifier d’année en année – et aboutiront à la formation d’un premier gouvernement non communiste en 1989 et à la proclamation de la IIIème République le 1er janvier 1990. Aux frontières de la Pologne, le système politique et économique Est-allemand s’essouffle aussi. Pour autant, la réunification paraît tout autant invraisemblable qu’inacceptable pour Moscou. Mikhaïl Gorbatchev le rappelle le 7 octobre 1989 à Berlin-Est lors des célébrations du quarantième anniversaire de la République démocratique allemande, la RDA : « On nous demande constamment de liquider telle ou telle division. Nous devons constamment nous entendre dire : ‘‘Que l’URSS se débarrasse du mur de Berlin, après quoi nous croirons à ses intentions pacifiques’’. Nous n’idéalisons pas l’ordre créé en Europe. Mais le fait est que, jusqu’à maintenant, l’attention portée aux réalités de l’après-guerre a assuré la paix sur le continent. Chaque fois que l’Ouest a tenté de redessiner la carte de l’Europe de l’après-guerre, cela s’est traduit par une détérioration de la situation internationale ». Quatre semaines plus tard, le mur de Berlin tombe, et l’année suivante, l’Allemagne était réunifiée autour de la République fédérale allemande, la RFA. La levée du véto à l’adhésion de l’Allemagne réunifiée à l’OTAN en juillet 1990, puis, coup sur coup, la dissolution du Comecon, organisation d’entraide économique, le 28 juin, et du Pacte de Varsovie, vaste alliance militaire, le 25 février 1991, sonnent le glas du système de domination soviétique sur l’ensemble des pays d’Europe centrale et orientale.

Gorbatchev, pur produit du système soviétique ayant suivi une carrière d’apparatchik au sein du Parti communiste, a sans aucun doute été dépassé par les évènements, internes et externes du pays. D’autant qu’en dehors du parti, sa compréhension de la réalité russe et de l’état du monde était assez superficielle et limitée : il semble qu’il méconnaissait les nationalités non-russes cohabitant au sein de l’URSS, tout comme les démocraties populaires d’Europe centrale et orientale, et encore moins l’Europe occidentale et les États-Unis. Ce qui explique une certaine incompréhension de l’exécutif soviétique face aux mouvements de nationalités qui réémergent aux États baltes et du Caucase dans les années 1980. Gorbatchev a toujours fait preuve d’une grande ténacité dans ses convictions « unionistes » et était prêt à les défendre à l’aide de la puissance de l’État. En novembre 1989, lors d’une discussion au Politburo, il propose de faire rentrer dans les rang les trois républiques baltes récalcitrantes grâce au prix des carburants. Aux pressions économiques s’ajoutèrent rapidement des pressions juridiques. En mars 1990, quatre jours après le vote de l’indépendance par le Parlement lituanien, le Soviet suprême, corps législatif de l’URSS, adopte la loi promise par Gorbatchev, relative aux « Règles de sortie des républiques de l’Union ». La procédure est tellement compliquée qu’elle se révèle dans les faits pratiquement impossible. Moscou introduisit aussi de dures sanctions économiques contre le petit État rebelle : augmentation considérable du prix du pétrole et du gaz, et embargo de facto sur plusieurs produits de première nécessité, y compris les médicaments.

On peut partiellement expliquer ces évolutions par le fait d’une certaine libéralisation du régime à partir de l’arrivée de Gorbatchev, et d’une détente internationale, qu’on peut mettre largement à crédit du leader soviétique – bien que la situation économique du pays l’ait en fait exigé. Cette détente sera consacrée le 2 décembre 1989, à Malte, lors d’un sommet de deux jours entre Gorbatchev et le président américain George H. W. Bush, au cours duquel ce dernier déclare que la Guerre froide est terminée. Dès son arrivée au pouvoir en 1985, Gorbatchev propose « l’option zéro » au président américain Ronald Reagan, par lequel l’Union soviétique accepte de suspendre ses essais nucléaires souterrains. Les années suivantes seront ponctuées de tentatives pour reprendre les traités de désarmement – rarement suivies par Washington. En 1986, il proposera même un plan d’élimination des armes nucléaires à l’horizon 2020. Symboliquement, le 1er janvier 1986, chacun des deux dirigeants va prononcer un discours diffusé à la télévision et adressé au peuple de l’autre partie. Même si les relations diplomatiques se refroidiront par la suite, le moment marque une nouvelle ère.

Mais les initiatives gorbatchéviennes dépassèrent la seule question du règlement du contentieux soviéto-américain et la mise au ban de la Guerre froide. Ainsi en décembre 1988, lors de l’Assemblée générale de l’ONU, Gorbatchev annonce une réduction unilatérale des forces conventionnelles stationnées en Europe de l’Est et le long de la frontière sino-soviétique. En mai 1989, lors de la visite à Pékin du dirigeant soviétique, la Chine et l’URSS renouent d’ailleurs des relations normales, après trente années d’éclipse. En octobre, l’URSS reconnaît que la guerre d’Afghanistan a constitué un viol des « règles de bon comportement » et achève le retrait de ses troupes. En décembre suivant, lors d’une entrevue avec le pape Jean-Paul II à Rome, il promet le retour à la liberté de culte. Les relations diplomatiques avec le Vatican sont rétablies. La levée des restrictions à l’émigration juive vers Israël permet le réchauffement des relations entre les deux États. Enfin, décision hautement significative soulignant l’évolution des stratégies et des rapports de force, l’URSS ne s’oppose pas à l’intervention des forces de l’OTAN lors de la guerre du Golfe.

Il convient également de souligner l’importance d’un geste à haute valeur symbolique, qui permet d’ouvrir le débat sur la nature du régime soviétique et ses pratiques : l’amorce d’une ouverture en 1990 des archives publiques et la reconnaissance du massacre de Katyn, à savoir le meurtre de plusieurs milliers de personnalités et officiers polonais au printemps 1940, par la police politique de l’Union soviétique.

Image d'archive, de Boris Eltsine sur un char à Moscou (19/08/1991).

L’ambigüité du personnage : impossible réaction ou désir sincère de changement ?

La question de la responsabilité et des causes de l’effondrement du système sont toujours vives. Pour les uns : bourreau de l’URSS et du système socialiste, hésitant dans ses réformes, mou face aux velléités nationalistes et pacifiste par contrainte budgétaire ; pour les autres : héros de la Guerre froide, pacifiste sincère et réformateur courageux. S’il est vrai que l’accident nucléaire de Tchernobyl d’avril 1986 et le tremblement de terre arménien de 1988 (qui causa 25 000 morts et 400 000 sans-abri) ralentirent quelque peu l’action gouvernementale, c’est surtout l’opposition interne qui plomba le processus de réforme visant à sauver le régime. Du côté des radicaux comme Boris Eltsine qui souhaitaient en finir avec l’Union, comme du côté des réactionnaires qui ne souhaitaient pas la voir changer. Le 18 août 1991, un communiqué de l’agence de presse TASS annonce qu’« incapable d’assumer ses fonctions pour des raisons de santé », Gorbatchev est remplacé par Guennadi Ianaev, vice-président de l’URSS hostile à la désintégration de l’Union. Gorbatchev vient en fait d’être l’objet d’un putsch fomenté par un groupe de communistes radicaux, comprenant de nombreux officiers de haut rang. Il est placé en résidence surveillé. L’échec de cette tentative de coup bénéficiera incontestablement à Boris Eltsine, filmé sur un char des putschistes au milieu de la foule, et plombera l’autorité de Gorbatchev.

Difficile de reprocher au personnage de ne pas avoir écraser d’une main de fer, dans la tradition stalinienne, l’opposition aux réformes. Tout comme il est difficile de lui reprocher de ne pas avoir envoyer les chars soviétiques en RDA ou en Pologne, comme ses prédécesseurs l’avaient fait à Budapest en novembre 1956 ou à Prague en août 1968. Il argumenta, plus tard, en faveur de son inaction, expliquant qu’il ne souhaitait pas appliquer la doctrine Brejnev visant à imposer par la force si nécessaire une socialisme « correct », et qu’il estimait pouvoir influencer les pays socialistes par l’exemple. Il ne souhaitait pas non plus imposer de nouveaux gouverneurs à leur tête, car cela aurait signifié que Moscou endossait de nouveau la responsabilité de tout ce qui pouvait se passer.

Toujours dans son discours de démission du 25 décembre 1991, Mikhaïl Gorbatchev explique : « Néanmoins une œuvre d’une importance historique a été accomplie : le système totalitaire, qui a [empêché] le pays de devenir heureux et prospère, a été liquidé. Une percée a été effectuée sur la voie des transformations démocratiques ; les élections libres, la liberté de la presse, les libertés religieuses, des organes de pouvoir représentatifs et le multipartisme sont devenus une réalité ; les droits de l’Homme sont reconnus comme le principe suprême. La marche vers une économie multiforme a commencé, l’égalité de toutes les formes de propriété s’établit ; en dirigeant l’économie vers le marché, il est important de rappeler que ce pas est franchi pour le bien de l’individu. Dans cette époque difficile, tout doit être fait pour sa protection sociale. Nous vivons dans un monde nouveau : la Guerre froide est finie, la menace d’une guerre mondiale est écartée, la course aux armements et la militarisation insensée qui a dénaturé notre économie, notre conscience sociale et notre morale, sont stoppées. Nous nous sommes ouverts au monde, nous avons renoncé à l’ingérence dans les affaires d’autrui, à l’utilisation des forces armées en dehors du pays. En réponse, nous avons obtenu la confiance, la solidarité et le respect. Nous sommes devenus un des piliers principaux de la réorganisation de la civilisation contemporaine sur des principes pacifiques et démocratiques. Les peuples, les nations ont obtenu une liberté réelle pour choisir la voie de leur auto-détermination. Les efforts pour réformer démocratiquement l’État multinational nous ont conduits tout près de la conclusion du nouvel Accord de l’Union ».

Et d’ajouter, comme pour expliquer l’échec de ce bilan : « Tous ces changements ont provoqué une énorme tension, et se sont produits dans des conditions de lutte féroce, sur un fond d’opposition croissante des forces du passé moribond et réactionnaire, des anciennes structures du parti et d’État et de l’appareil économique, ainsi que de nos habitudes, de nos préjugés idéologiques, de notre psychologie nivellatrice et parasitaire. Ils se sont heurtés à notre intolérance, au faible niveau de culture politique et à la crainte des changements. Voilà pourquoi nous avons perdu beaucoup de temps. L’ancien système s’est écroulé avant que le nouveau ait pu se mettre en marche ». Ces propos, qui laissent entrevoir un aveu de surcroît de confiance qui a pu caractériser le pouvoir soviétique durant ces années de réformes, doit évidemment être relativisé au regard des années qui suivirent dans les anciens pays de l’URSS et du bloc socialiste. La Russie, entre autres, peine toujours à établir une économie de marché stable et prospère, et a surtout renoué avec la répression et l’autoritarisme, en particulier depuis l’arrivée de Vladimir Poutine à la présidence – le même Vladimir Poutine qui qualifia en 2005 la chute de l’URSS… de plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle.

Trente ans après sa démission à la tête de l'URSS : Mikhaïl Gorbatchev, héros de la Guerre froide ou artisan de l'échec du socialisme ?
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