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Par David Brites.

À l’occasion de la présentation du rapport Teychenné (juin 2013) portant sur la lutte contre les discriminations homophobes, biphobes et transphobes à l’école de la République, Vincent Peillon a annoncé des mesures et un plan d’action portant notamment sur la formation des enseignants et personnels de l’éducation, ainsi qu’une meilleure sensibilisation des élèves. L’objectif étant bien d’engager, selon les propres mots du ministre, la « déconstruction des stéréotypes » à l’école. Et, à l’occasion des débats relatifs à la Loi de programmation et de refondation de l'école de la République, en mai et juin dernier, la députée écologiste Barbara Pompili a défendu, dans un amendement, l’introduction du terme de « genre » dans les programmes scolaires. Sans pour autant défendre une supposée « théorie du genre ». Quelques éléments d’éclairage.

Le gouvernement s’est donc lancé dans une lutte en profondeur contre tous les stéréotypes, afin de lutter pour l’égalité entre les hommes et les femmes. Apparemment, rien de bien critiquable. Alors, pourquoi certains articles de ce projet de loi ont-ils fait polémiques ? Derrière l’amendement de la députée écologiste Barbara Pompili, certains ont vu la main du lobby LGBT et des féministes les plus ultras, et leur supposée volonté d'éradiquer toute différenciation entre les hommes et les femmes. Bref, « déconstruire les stéréotypes », cela se traduirait en fait par la déconstruction de notre identité. On passerait donc de l’idée d’enseigner la place des femmes dans l’Histoire de France, au fait de nier le genre des individus. C’est l’« éducation neutre », qui suppose qu’il est possible de déroger à la distinction entre filles et garçons, et que l’on peut choisir son genre. Des cas, encore exceptionnels, ont été observés en Suède, en Angleterre ou au Canada, de parents ayant choisi d’éduquer leur enfant sans leur dévoiler leur genre particulier, en lui proposant des activités ou des jeux « neutres », ou encore en l’habillant alternativement en petit garçon ou en petite fille.

Simone de Beauvoir (1908-1986).

Ce type d’éducation jette ses bases idéologiques dans une théorie sociologique, dite théorie de queer, qui critique principalement l’idée que le genre et l’orientation sexuelle seraient déterminés génétiquement. Et cette théorie du gender poussée à l'extrême, dénoncent les pourfendeurs de l'amendement Pompili, se traduirait par le reniement pur et simple du sexe de la personne, par le rejet de son identité d'homme ou de femme. Sexualité et genre social seraient (ne seraient que) le résultat d’un environnement socio-culturel et d’une histoire de vie. Ou, comme le disait si bien Simone de Beauvoir : « On ne naît pas femme, on le devient ».

La réalité est sans doute plus complexe, et l’idée que la binarité serait une construction purement sociale dans le genre humain, alors qu’elle existe même dans le genre animal, vaut bien la théorie qui voudrait que l’homme et la femme, même à leur niveau d’évolution actuel, seraient naturellement complémentaires, et que cette complémentarité prévaudrait sur la notion d’égalité. Les pourfendeurs de la théorie du genre sont bien souvent ceux-là même qui manifestaient contre le Mariage Pour Tous, le printemps dernier. Et pour cause : la cause homosexuelle et celle des femmes se rejoignent dans cette idée toute simple qui veut que chaque individu est libre, et que son orientation sexuelle ou son rôle et sa place dans la société ne doivent pas être dictés par des normes restrictives et rétrogrades, ni même par son identité de genre. Quitte pour cela à détruire cette identité de genre ?

Bien évidemment, et en dépit des différences biologiques évidentes entre hommes et femmes, il ne doit pas y avoir de destin sociologique préétabli selon le genre. Aucune tâche – professionnelle ou ménagère – ne doit être réservée à tel ou tel genre, au risque d’entraîner de graves inégalités sociales. La « déstructuration des stéréotypes » passe, cela va de soi, par l’éducation, dès le plus jeune âge. Mais les voix dénonçant une supposée « théorie du genre », qui s’imposerait dans les programmes scolaires sans vraiment dire son nom, soulignent le danger de nier l’appartenance des individus à une catégorie sexuelle. Celle-ci est avérée, elle relève évidemment d’une perception sociale, mais elle est également biologique, et c’est pourquoi ce débat ne doit pas être réduit à une opposition entre réactionnaires et féministes exaltés. Notre identité (sexuelle) est complexe : elle jette ses bases dans nos modèles (familiaux notamment) et notre éducation, dans l’image que l’on se fait de nous-mêmes et des autres, dans notre rapport à notre propre corps et à celui des autres, dans notre environnement, et dans moult autres paramètres, intimes ou non, statiques ou évolutifs, présents ou absents. C’est la combinaison subtile d’une construction psychologique et d’une réalité biologique. Bien malin celle ou celui qui saura dire avec certitude quelle est la part de l’une et de l’autre chez chacun d'entre nous.

La distinction de genre a-t-elle vocation à disparaître ?

Le 10 février 2010, le Journal officiel publiait un décret qui retirait « les troubles précoces de l’identité de genre » de la liste des affections psychiatriques. Comprendre : en rupture avec l’avis de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la France devient le premier pays au monde à ne plus considérer le transsexualisme comme pathologie mentale. La ministre de la Santé de l’époque, Roselyne Bachelot, justifiait ainsi ce choix : « Les personnes qui souffrent de trouble précoce de l’identité de genre, les transsexuels ou transgenres, peuvent bénéficier de l’exonération du ticket modérateur pour les soins et traitements au titre de l’affection longue durée. [Cette admission peut être considérée comme] très stigmatisante. »

La transsexualité ne serait donc pas une pathologie mentale. Il est certes évident que la volonté de changer de sexe relève d’un trouble identitaire profond, mais, comme l’a expliqué la ministre de la Santé de l’époque, il y avait jusque-là une confusion « entre le trouble de l’identité du genre et l’affection psychiatrique ». Loin de nous l’idée de juger avec certitude la décision de Mme Bachelot. Mais force est de constater qu’elle octroie un regain de dignité et de liberté pour une communauté de personnes qui a pu souffrir du regard de la société. Dans l’Hexagone, entre 40 et 60.000 personnes seraient concernées par cette décision, selon les estimations des associations. Quant au maintien du transsexualisme dans la liste des pathologies mentales de l’OMS, c'est finalement un détail négligeable pour juger de la décision de la France, quand on se rappelle que jusqu’en 1990, l’homosexualité était encore considérée comme une pathologie mentale par cette organisation.

Se dirige-t-on vers un modèle de société où la différenciation des genres disparaîtra et où l’identité sexuelle de chacune et de chacun sera ignorée ? Le 31 mai dernier, la première personne de genre « neutre » a été officiellement reconnue comme telle, en Australie. Né homme il y a 52 ans, devenu femme à 28 ans, Norrie May-Welby avait finalement interrompu son traitement hormonal, se déclarant aussi malheureux en tant que femme qu’en tant qu’homme. Difficile de se prononcer sur une telle anecdote, et sur son impact à long terme sur le droit australien relatif à la distinction des genres. Elle relève pour l’instant de l’exception. Et la reconnaissance de sa neutralité sexuelle par les autorités australiennes a au moins le mérite de rendre la vie plus facile à un individu victime d’un mal-être identitaire. Reste à s’assurer que cette personne « neutre » ne sera pas oubliée par les législateurs, le jour où les Australiens adopteront leur « mariage pour tous » !

L’amendement Pompili abandonné

Le 25 juin dernier, la Loi de programmation et de refondation de l'école de la République était définitivement votée par le Parlement. Portée par Vincent Peillon, elle concrétise certaines promesses formulées par François Hollande en 2012. Mais elle ne comprend finalement pas de référence à « l’égalité de genre ». La députée écologiste Barbara Pompili, qui entendait, à l’occasion de la deuxième lecture du projet de loi, défendre cette notion dans un amendement, y a finalement renoncé. Après le vote de la loi Taubira, les opposants au mariage homosexuel peuvent y voir une victoire, puisque certains d’entre eux, au moins dans les rangs des députés UMP, semblent avoir trouvé dans la théorie du genre un nouveau cheval de bataille. D’ailleurs, dix jours après leur dernière manifestation contre le Mariage Pour Tous, quelques centaines de manifestants se rassemblaient à nouveau le 3 juin dernier au pied du ministère de la Famille à Paris, à l'appel du collectif de la Manif Pour Tous.

Rassemblement de la « Manif' pour Tous » le 26 mai 2013 à Paris.

« Perversion », « idéologie totalitaire », « propagande » sont des mots parmi tant d’autres qui ont alors fusé. Ils ne doivent pas être pris à la légère, pour la simple raison qu’ils ne traduisent pas tous la même peur, ni les mêmes critiques. Outre les invectives moralistes à tendance biblique, qui n’ont en soi aucun intérêt, la crainte de voir une théorie du genre s’imposer et anéantir « l'équilibre social et politique » – selon le bon mot de certains députés UMP – s’explique et ne peut être balayée d’un revers de main.

L’éducation nationale est un lieu d’apprentissage déterminant, y compris sur le plan civique, c’est pourquoi sensibiliser les enfants sur l’égalité hommes-femmes, pour déconstruire des stéréotypes vieux de plusieurs générations, y est nécessaire. Mais cela ne doit pas laisser place à une forme de doctrine sous-jacente aux programmes. Et, sur le sujet du genre comme sur tant d’autres, il s’agit de toujours rester vigilant sur ce qu’il convient d’enseigner à nos enfants, notamment en cours de biologie, d’histoire-géographie, de français ou encore de philosophie. Autant de matières fondamentales pour en faire des citoyens matures et libres sur le plan intellectuel.

Tout aussi déterminée que ses détracteurs, Barbara Pompili, « abasourdie d’avoir été inondée d’insultes » suite à sa proposition d’amendement, disait y voir « la preuve qu’il y a nécessité de travailler sur le sujet ». La députée affirmait encore récemment que son amendement « n’avait pas pour but de remettre en cause les différences entre les sexes, mais juste que les enfants puissent s’interroger dès la primaire sur ces stéréotypes selon lesquels, par exemple, une fille devrait être meilleure en français qu’en maths, qui conditionnent l’ensemble de leur vie ». Elle dit vouloir lutter contre ce qu’elle appelle le « concept du genre », qui induit des comportements attendus pour tel ou tel sexe. « Les enfants sont programmés pour être différents », dénonçait-elle encore récemment.

Beaucoup de vrai dans ces propos, mais des nuances peuvent toutefois y être apportées. Si la députée déplore la différence sociale induite par la distinction entre genres, et les réflexes hérités de centaines de milliers d'années de répartition genrée des tâches, il est clair que cette argumentation ne connaît aujourd’hui plus le même écho qu’auparavant. Bien sûr, les discriminations sur le marché du travail sont profondes, dans l'accès à l'emploi et sur le plan salarial notamment, mais la réalité reste quand même plus complexe. Dans tous les pays de l’OCDE, France incluse, les filles obtiennent en moyenne de meilleurs résultats que les garçons au baccalauréat, et sont plus présentes dans les grandes écoles. La palette des possibilités de formation leur est tout aussi grande que pour les hommes. Mais il est vrai aussi que les différences sont notables par secteur d’activité. A titre d’exemple, les métiers d’ingénieurs connaissent une proportion encore très faible de femmes en France (17% en moyenne), ce qui peut effectivement s’expliquer par une inhibition à l’entrée des filières permettant d’accéder aux métiers d’ingénieur.

Alors, que tirer de cette séquence législative ? Il est tout à l’honneur de nos sociétés de vouloir aller contre les différences (naturelles ou non, admises ou non) entre les hommes et les femmes, dès lors qu’elles sont à l’origine de discriminations sociales, ou d’inhibitions à l’échelle individuelle ou collective. Sans tomber dans des délires proclamant l’unicité du genre humain et la disparition des différences sexuelles, il est clair que le travail de sensibilisation doit se faire dès le plus jeune âge. Dirons-nous, comme le poète et anthropologue algérien Mouloud Mammeri, que « le monde des hommes et celui des femmes sont comme le soleil et la lune : ils se voient peut-être tous les jours, mais ils ne se rencontrent pas » ? L’idée est à présent de rapprocher un peu les astres.

Le débat sur la théorie du genre : l'homme a du retard sur d'autres espèces.

Le débat sur la théorie du genre : l'homme a du retard sur d'autres espèces.

Tag(s) : #Société
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